“Ceci n’est pas une biographie”, se défausse Pascal Bertin (Vice, Les Inrocks, Libération, Tsugi, etc.) en avant-propos des plus de 200 pages qu’il consacre à la vie – et, pour une large part, à la mort, de David Berman (1967-2019), connu pour avoir animé le groupe Silver Jews (et, à la fin de sa vie, Purple Mountains).
Une biographie, Au nom du pire en est bel et bien une, bien entendu, une enquête d’excellente facture, passionnée, littéraire, pleine de style et d’érudition, penchée sur l’art sans jamais faire l’impasse sur les indispensables éléments de contexte économique et culturel (je résume : la philosophie du DIY récupérée par l’industrie de la musique pour siphonner jusqu’à sa dernière goutte la machine à cash).
On y croise Bonnie “Prince” Billy, Will Oldham ou les groupes Yo La Tengo, Sonic Youth, Nirvana et bien entendu Pavement, qui eut deux membres en commun avec les Silver Jews.
Au centre de cette toile de récits : David Berman, un amoureux des mots, avant tout poète, ensuite songwriter, qui jamais “n’a semblé écrire ni pour la gloire, ni pour la célébrité”, “prototype de l’anti chanteur à la J Mascis (Dinosaur Jr) ou Lou Barlow (Sebadoh)”, aux albums “ad vitam aeternam rangés dans le bac à disques indécrottablement indie lo-fi”.
L’histoire aussi de “Deux Amériques”, pour reprendre le titre du chapitre antépénultième. L’Amérique créative, libre et sensible de David Berman, et celle de son père, lobbyiste de la destruction de toute initiative progressiste et fossoyeur cupide des merveilles de la nature.
On devine que David Berman est l’outsider favori de Pascal Bertin, qui de toute évidence, largement autant fan que journaliste, ne boude pas son plaisir à louer ses qualités humaines : “ironie, décalage, humour”. Il ne peut hélas taire la noirceur qui accable son sujet. Celle de sa dépression incurable, dans laquelle il va s’abîmer, avec l’aide toujours efficace des drogues et des médicaments, incapable de “comprendre et supporter le monde”, fatigué de souffrir et à bout de souffle face aux démons.
Pascal Bertin, Au nom du pire, David Berman et Silver Jews face aux démons de l’Amérique.
Le Gospel. 240 pages. 16 €.
En librairie ou en vente en ligne.



