Violence Conjugale sont aimés. Violence Conjugale sont détestés. Ainsi va la vie.
J’ai interviewé le duo bordelais pour Clubs Et Concerts numéro 79, distribué partout sur l’agglo en novembre 2014.
En ce dernier jour du mois de novembre, la « Foire Aux Plaisirs » de la Place des Quinconces est déjà un lointain souvenir et le numéro 79 de Clubs Et Concerts est devenu introuvable, à part peut-être dans les toilettes de pas mal de bordelais et bien sûr dans les bacs à ordures de l’Heretic Club.
J’en profite donc pour publier sur mon site cet échange intellectuel de premier ordre, qui eut lieu dans mon salon, au dîner.
Soirée entre hommes, avec Hans Jemappes (chant et synthétiseurs) et André Gosselin (synthétiseurs et programmation) :
Votre reprise d’ « Homosexualis Discothecus » (extrait de la BO du film Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ), c’est pour envoyer des signaux communautaires ou c’est les cinéphiles qui ont parlé en vous ?
André : En fait, on a donné suite à une proposition. Une proposition de gros déconneurs.
Hans : Notre copain belge Elzo Durt a fait une expo à Paris, du nom de « Deus Ex Machina », et a voulu y associer la sortie d’un disque. Il a branché Cheveu, Pierre & Bastien et nous, pour une compilation sur un 45 tours. Du coup, on occupe toute la face B. « Homosexualis Discothecus » a été une influence pour moi, dans le passé, alors que je composais d’autres morceaux, que je voulais faire sonner très gay. Et c’est vrai que ça nous fait marrer depuis des années, cette scène dans les catacombes avec le Jules César travesti et ce génial quiproquo sur le complot !
André : On y a juste rajouté un côté D.A.F. qui nous plaît, assez martial. On a rendu le morceau un petit peu plus viril.
De manière générale, il semblerait que vous aimez chanter des thèmes un peu sordides, des histoires de seringue, de travestissement, ainsi que des histoires qu’on pouvait lire dans les journaux des années 80 : le KGB, les missiles atomiques…
Hans : Au début, on voulait chanter les thèmes les plus scandaleux possibles sur une musique très rapide et très simple. On a tapé dans des tabous faciles, y compris le nazisme, tabou ultime du XX° siècle.
André : Il nous fallait contextualiser notre univers avec le max de données de l’époque, mais on voulait donner l’impression qu’il s’agissait de l’oeuvre de deux débiles. On a donc mélangé les thèmes le plus possible, en multipliant les erreurs historiques.
Hans : On voulait donner l’image de deux gars paumés qui se disent « l’époque ça va mal » mais qui ne comprennent rien. De toute façon, ils étaient bien trop défoncés.
Il faut dire que vous aviez commencé par faire croire que Violence Conjugale était un groupe belge des années 80. Vous aviez monté une vraie mystification…
Hans : On avait fait croire qu’on avait retrouvé dans une brocante un 45 tours autoproduit d’un vieux groupe belge obscur. On avait mis les MP3 sur un ou deux forums de musique. Au bout de quelques mois, on a vu des mecs s’extasier en mythonant. Il y a même eu des gens pour dire « oui mais moi je l’ai ce 45 tours ! »… Et puis il y a eu des gens qui se sont simplement demandé d’où ça venait, sans remettre en cause qu’il puisse s’agir d’un groupe de 1981. Pendant ce temps, on avait fait une page MySpace, en prétendant qu’on était le fan club du groupe.
Mais les responsables des labels n’ont quand même pas mordu à l’hameçon ? Ils sont censés être très pointus !
Hans : Ah ben si ! C’est ça qui est fort ! On a réussi à berner celui qui nous a signés, JB Wizz de Born Bad.
André : Atteint de collectionnite aigüe, il voulait avoir des infos sur Violence Conjugale. Depuis dix mois, il faisait le tour de tous les forums de minimal wave, sous pseudo. On était vraiment allé jusqu’au bout : on avait fait un faux label, avec une fausse référence, des fausses personnes créditées, des fausses bio. On avait vraiment préparé le truc.
Quelle a été sa réaction quand vous avez craché le morceau ?
Hans : Au début, il a voulu aller dans la blague à fond : sortir le 45 tours, en le présentant comme une réédition. Mais comme on avait d’autres morceaux qui traînaient, il a décidé qu’on ferait un album. On était assez excités. Le label sur lequel on fantasmait d’être était venu nous chercher. Alors qu’on avait pas osé le contacter, car on s’était dit qu’il nous prendrait pour des guignols, vu le seuil d’exigence et de qualité du label.
Il a bien fallu dire publiquement que cette histoire de 45 tours était une fable ?
André : Oui. Tant et si bien qu’à nos premiers concerts certaines personnes disaient qu’on n’était pas les vraies personnes du groupe !
Hans : Il faut dire qu’on faisait un peu jeunes pour des mecs censés avoir 55 balais.
André : Mais il y encore des gens qui nous croient belges.
Hans : Après les concerts à Paris, on nous demande si on reste pour dormir ou si reprend directement la route pour Bruxelles.
A vouloir jouer à fond la carte des références aux années 80, n’y a-t-il pas le risque de tomber dans la caricature ?
Hans : Il y a des gens qui n’ont pas compris notre disque. Ils ont cru que c’était une blague, qu’on faisait une sorte de Tranxen 200 comme Les Inconnus. Alors que non. Il n’y a pas de blague. Il y a de l’humour, mais ce n’est pas de la parodie. Il y a du second degré dans ce qu’on fait, mais on le fait sérieusement.
André : Cette incompréhension du départ a presque été une bonne chose. Car on n’entend plus ce son de cloche. Ça nous a permis d’éliminer tous les débiles qui ne pouvaient pas comprendre le concept. Ça nous donnait tout à prouver sur scène. Il a fallu se cogner pour que ça soit carton, que ça assure et que les gens se disent que ce n’est pas une blague. Et notamment à Bruxelles.
Quel était votre état d’esprit lors de vos vrais débuts, à Bordeaux, avant de créer de toutes pièces votre légende belge ?
André : On avait nos projets respectifs et on s’est mis à faire de la musique ensemble pour s’amuser. Ça nous a permis de défricher le truc qu’on avait vraiment envie de faire. Quand on a commencé à faire les tout premiers morceaux de Violence Conjugale, on savait déjà qu’on avait envie de faire ce projet synthé, au champ bien délimité.
Hans : Dans les trucs qu’on avait faits avant, on avait fait une espèce de techno pop à la Depeche Mode, de la musique industrielle, de l’ambiant… On a dû apprendre à travailler à deux. Quand tu as l’habitude de faire de la musique électronique en bossant toutes tes parties tout seul, les rythmiques, les basses, les mélodies, etc. , il faut que tu arrives à concéder un espace pour l’autre.
Violence Conjugale s/t (Born Bad)
Deus Ex Machina 45 tours compilation (Born Bad)