J’avais bossé un article à paraître dans un média auquel je contribue : un petit sujet sur la scène « deathfloor » et assimilée qui, sans cartonner intensément à Bordeaux même, suscite de l’intérêt au niveau national : labels, sites prescripteurs, chroniques etc.
Je pensais au départ publier le papier complet à l’occasion de la « release party » hørd + Fléau qui s’est déroulée à l’I.Boat en début de ce mois de novembre. La soirée a été mortelle mais l’article n’a pas été validé (j’explique ci-dessous). Je profite juste du concert de ce soir sur Sainte Croix pour publier quelques notes.
NB : Le concert de ce soir : une carte blanche au label parisien Anywave avec Avgvst, et une belle brochette de spécialités locales : Volcan, Fléau et hørd. Au Café Pompier, 7 place Renaudel, Bordeaux, à partir de 22h00.
Je suis bien conscient que l’intitulé « deathfloor » est un petit terme marketing qui n’a pas de réalité profonde, mais, en tout cas, les principaux artistes concernés ont été en quelque sorte plus radicaux : autant tous ces artistes sont à fond dispos pour discuter de leur musique, de leur esthétique, de leur démarche, etc., autant cette sensation de se voir tous fourrés de force dans le même sac ne les emballe pas.
Du coup, ça n’a plus eu trop de sens de publier un petit dossier « deathfloor » sans les avis des principaux concernés.
Photo : le « deathfloor » bordelais dans Noise Magazine, avec VvvV, AE, Hørd et Volcan.
Précisions :
La paternité du terme « deathfloor » revient au Général Dima, musicien bordelais au CV deathfloor bien rempli, car il est ou a été membre des formations Aeroflot, Déjà Mort et AE (regardez attentivement l’URL du site de ces derniers). On peut carrément dire qu’il passe la serpillère sur le deathfloor, sans problème.
Si l’expression a eu du succès, c’est qu’elle est parlante, tout simplement (« cette désormais fameuse scène « deathfloor » bordelaise », a écrit Noise Magazine), malgré la grande variété des projets ainsi acoquinés : rock heavy doom avec claviers pour AE, darkwave pour hørd, musique électronique ambiant pour Fléau, électro progressive pour Volcan, pop rock électro pour VvvV, etc.
Toutes proportions gardées (je ne suis pas encore dingo, hein, j’ai gardé un peu de sens de la mesure), cela m’a fait penser au grunge à Seattle : une étiquette avant-tout pratique pour les chargés de com et les journalistes, mais artistiquement, une généralisation très tirée par les cheveux (ce qui tombait bien : la mode était aux ripes longues).
En résumé, le fond de ma pensée : il s’agit avant tout de s’intéresser à la musique des artistes, aller voir les concerts, acheter les disques et leur morceaux en ligne. Bref, cette bonne vieille scie : soutenez votre scène locale. Pour le reste, il faut continuer à faire comme quand on braque des fringues à H&M : ne pas se soucier des étiquettes.
Longtemps, dans le lancement de carrière des groupes locaux, le modèle dominant a été celui du Burdigala Tour : une indispensable tournée des scènes bordelaises, de bar en club, pour bâtir sa notoriété et forger son expérience. Une série de nouveaux artistes ont surgi, dont le parcours laisse penser que l’ancien schéma a vécu. D’entrée de jeu, le repérage se fait au niveau national, tant au niveau des labels qui les produisent ou des médias prescripteurs qui les encensent. C’est ce que j’ai pu constater avec cette série de nouvelles formations à suivre : les Fléau, hørd, VvvV ou Volcan.
Comme je l’ai dit plus haut, à peine les avais-je sollicités pour une réaction sur l’existence d’une « scène deathfloor » que leur réponse a plutôt été de hausser les épaules, de dénoncer une étiquette gadget et de tourner les talons, me laissant seul pour payer les consos.
Olivier Drago, le rédac chef du magazine Noise, a qui j’avais demandé son son de cloche, m’est apparu d’emblée absolument pas dupe sur le caractère artificiel du concept – qui aura au moins permis de mettre un mot sur micro-mouvement.
Olivier Drago : « Sur le papier le concept est toujours sympa. Cette appellation a permis à pas mal de gens de découvrir ces projets. Sept ou huit gars qui jouent ensemble dans quatre ou cinq groupes partageant des similarités musicales forment-ils « une scène » ? Pourquoi pas… Après, comment souvent, les intéressés eux-mêmes te répondent que non. En tout cas, « deathfloor, ça sonne super bien ».
« Ce n’est pas forcément une mauvaise étiquette. » m’a confirmé Orelsan Filippetti de Gonzaï, qui estime avant tout que « la proposition musicale tient la route »,
Orelsan Filippetti : « Quand tu vois Die Ufer se monter (nouveau projet musical associant les musiciens de hørd et Volcan – NDGw), tu te dis que tout ça n’est pas que des conneries. Si tous les artistes bordelais passent leur temps à dire que la scène bordelaise n’existe pas, il suffit – véridique – d’aller passer une soirée au Wunderbar pour croiser pêle-mêle Arthur Satan, des mecs de Strasbourg, Laurent de Violence Conjugale, Seb de Hord, les VvvV, etc. Quand un label internationaliste et exigeant comme Anywave concentre ses deux seules signatures françaises sur le deathfloor, c’est pas non plus un hasard. »
De fait, du côté des labels, on reconnaît volontiers la créativité locale, comme ici Aurel de Anywave :
« On avait un oeil sur pas mal de projets issus de la scène bordelaise, Hørd, Volcan, Harshlove en particulier…. Bordeaux, c’est pas Sully-sur-Loire, c’est comme un mix de Portland, pour la mer, et de Sheffield, pour les synthés dark, en fait…»
Bien sûr, ce sont les critères artistiques qui feront toujours la différence : « On a sorti « Fléau » parce qu’on a trouvé l’album magnifique, et qu’il venait combler un manque dans notre catalogue, ou disons enrichir notre identité. Et j’ai entendu le morceau « Speak » de Hørd, un clignotant « chef d’oeuvre » s’est allumé dans mon cerveau. »
Stellar Kinematics s’est intéressé à Hørd à l’ancienne, au coup de coeur : «Hørd évolue dans la musique indé depuis déjà quelques années, il est honnête et passionné et il fait en sorte que ses projets soient les plus professionnels possible. Il n’en fallait pas plus pour nous convaincre, si ce n’est des compositions glaçantes et un univers visuel nous correspondant. »
Toujours selon Stellar Kinematics, « la question de l’origine géographique d’un artiste ne s’est jamais posée pour nous, car nous avons dès le début souhaité ne pas avoir de barrières et par conséquent travailler avec les artistes pour lesquels nous avons un coup de coeur, peu importe leur localisation. Aussi, les scènes cold, synth, minimal wav sont des scènes de niche représentées par très peu de gens éparpillés aussi bien en France que dans des petites villes du Mexique, du Pérou ou de l’Australie, ce qui implique que la majorité de cette communauté échange et collabore grâce au web. »
A Bordeaux, parmi les artistes majeurs de la scène synth bordelaise, il y a Cold Colors :
Frédérick Barbe, l’âme de Cold Colors, confirme avoir plus suscité l’intérêt de producteurs pas forcément issus du sérail local : « Même si ma première apparition s’est tout de même faite sur une compilation Bordeaux Electro en 2009, je suis beaucoup plus sollicité par des labels hors de Bordeaux, hors de France en général. »
Sa discographie : « Première sortie vinyle sur un label toulousain, FIR, en 2010, mais tout a réellement commencé avec un ep sorti en digital sur Romance Moderne, un label belge, puis une K7 sur un label anglais. Ensuite, le label Lux Rec, de Suisse, a sorti mon 1er ep vinyle, et, il y a quelques jours, a eu lieu la sortie physique d’un nouveau 6 titres sur Nocta Numerica, un label français basé à New York. A venir début 2016, une réédition vinyle sur un label espagnol, et un 45t sur un label parisien. »
« Je pense que personne ou presque connait ma musique à Bordeaux. Je n’ai jamais vu un article concernant la musique électronique à Bordeaux citer mon nom ou mon projet, alors que cela fait plus de dix ans que Cold Colors existe… C’est dommage, mais je ne m’en plains pas outre mesure, ce qui se passe aujourd’hui pour ma musique me satisfait pleinement. » – Cold Colors
Pour Orelsan Filippetti de Gonzaï : « Un groupe visible dans un milieu (et ses médias) qui vient de partout sauf Paris aura généralement tendance à être meilleur, ou tout du moins plus inséré dans son environnement musical, ce qui reste généralement bon signe. »
Et de Bordeaux en particulier ? « Pas spécialement. », tranche-t-il.
« Un MS10 ne sonne pas différemment parce qu’il est utilisé à Bordeaux ou à Paris » m’a dit Clément Mathon de The Drone, poursuivant : « Pour ma part la raison pour laquelle on se pose ce genre de question c’est parce qu’on vit dans un tout petit pays administrativement super centralisé. »
En tout cas, tout le monde semble saluer la qualité de l’environnement global :
« Pour un groupe c’est un sacré atout de venir de Bordeaux ne serait que pour la scène toute petite et les locaux de répet à pas cher, même si cette ville change dans le mauvais sens ! » – Johan du label Ol’Dirty Dancin ’
« Il y a tout ici pour se développer et se faire connaître : pépinières, programmateurs, journalistes, attachés de presse… » m’a confirmé Cédric de l’agence Roost. « Ce qui est fou à Bordeaux, c’est le nombre d’acteurs présents uniquement sur le territoire de la ville ! »avant de faire l’inventaire du nombre de salles et des festivals alentours qui pourront faire autant de relais : Garorock, Free Music, Grand Souk, ODP, Vie Sauvage…
Histoire de se diriger gentiment vers une conclusion, je constate que quand je demande si Bordeaux a toujours la côte au niveau national, la réponse de mes interlocuteurs tourne autour du fait que ce n’est pas tant le fait de venir de Bordeaux qui a son importance, mais d’être issu de groupes ayant déjà roulé leur bosse.
« La « scène bordelaise », s’il en est une, est surtout une scène d’anciens qui ont persévéré et qui, de fait, savent souvent exactement ce qu’ils veulent proposer et sont relativement à l’aise à le mettre en œuvre » analyse Orelsan Filippetti. Voilà, « Hord et Fleau sortent des disques chez Anywave, Year Of No Light et Bagarre Générale chez Musicfearsatan, et Born Bad vient de sortir le nouveau JC Satan et de signer Lonely Walk…. Chacun a ses propres raisons pour signer tel ou tel groupe, et je ne pense pas que la ville d’origine pèse tant que ça dans la balance au final. On n’est plus dans les 90’s.»
Conclusion provisoire laissée à Clement de The Drone : « Je trouve ça un peu triste si la seule chose qu’on arrive à dérouler dans un papier tourne autour de la ville d’origine. »
Bien noté, et perso, je n’emploierai plus l’expression « deathfloor » avant 2017 ou 2018, au bas mot.
Photo tractopelle : Instagram perso Gwardeath
Outre le concert de ce soir au Café Pompier, prière de noter dans vos agendas :
VvvV au Wunderbar le samedi 5 décembre
Violence Conjugale, show case et dédicace au Wunderbar le vendredi 27 novembre, et à la Rock School Barbey le samedi 19 décembre