Je ne sais pas s’il s’agit d’une vraie interview dans les règles de l’art, mais Alix du groupe Odezenne m’a offert quelques bières PIP, on a discuté un peu et j’ai fait tourner mon Tascam pour enregistrer ça. C’est live au comptoir, si tu veux.
Par Guillaume Gwardeath, envoyé spécial à Bacalan.
Tu te souviens des premiers shows de Odezenne à Bordeaux ?
Alix : Je m’en souviens très bien. C’était sous le nom de O2Zen. C’était en 2007. C’était à L’Inca. C’était Milos qui nous avait invités. On a fait trois concerts là-bas, en avril, mai et juin. C’est ça qui nous a convaincus et nous à fait dire « allez, on va continuer ».
Un peu comme tous les mecs du collectif Iceberg, alors? L’Inca = découvreur de talents.
Ouais, carrément. D’ailleurs, on a joué ensemble avec des mecs de Iceberg. À l’Inca et aussi une espèce de plateau à la Rock School. Mais c’est toi qui avais organisé ça, d’ailleurs !
Eh ouais. C’était une sorte de « battle of the bands » de hip-hop du centre-ville. Il y avait vous, 0800 et Le Pingouin (groupe Iceberg avec des MC qui partagent leur patrimoine génétique avec Petit Fantôme, Père Dodudaboum, Crane Angels, etc.)…
On les avait tous pliés. 0800 avaient eu le malheur de demander au public qui était venu pour soutenir qui dans le public, et bon, on les avait un peu soufflés.
Le bon esprit battle.
Toujours, toujours. Très sain. Compétition saine.
Classic O2Zen pixelisé pour la postérité (@ Rock School Barbey, Bordeaux)
Est-ce qu’on peut dire qu’Odezenne, c‘est un groupe qui s’est fait tout seul ?
On peut dire ça. Ça s’est fait avec le bouche-à-oreille des gens, surtout. Internet.
Vous avez toujours eu des sites internet un peu spéciaux.
Là, on va en sortir un, tu vas rien comprendre.
C’est marqué dessus : j’ai déjà vu qu’il y avait un bouton « se perdre ».
Oui, et j’espère qu’on vraiment s’y perdre. J’ai décidé d’accepter le fait qu’on soit en chantier perpétuel et que ce site soit un cahier de brouillon ouvert, ou comme une toile de peintre, mais avec un scroll infini : en haut, en bas, à droite, à gauche. Sans délimitation. Avec des bouts de textes, des bouts d’images, des bouts de vidéo. Et pas de menu. Ça me casse les couilles, quand tu sais toujours où tu vas : le menu, la boutique, le lien Facebook… Surtout pas ça. Pas de ça chez moi !
Odezenne est donc un groupe indissociable de l’outil internet ?
On a tout misé là-dessus pour le bouche-à-oreille. C’est gratos. Il n’y a pas de barrière à l’entrée. Il n’y a personne pour savoir si ta musique est validée par le comité d’écoute. Tu sais, les fameux experts de la Fnac.
Ils existent vraiment ?
Je ne sais pas si ce bureau existe, mais je te jure que ce que je te dis est vrai. Quand on a envoyé OVNI en 2011, on nous a dit « on envoie votre CD à un bureau d’experts pour savoir si votre disque va être centralisé ». Une semaine après, on a reçu un courrier « bon, le disque ne sera pas centralisé ». Ah ah. OK, bon, ça voulait dire qu’on devait appeler les Fnac, l’une après l’autre, pour qu’elles prennent notre disque. Il fallait appeler chaque vendeur. T’aimes ? T‘aimes pas ? Machin. Ce qu’on voulait, c’était avoir trois CD dans chaque magasin, on ne demandait pas la Lune. Mais bon, on n’était quasiment pas en bacs.
À Bordeaux, ça allait ?
Ouais, ici, on a toujours eu un soutien local de ouf.
En tout cas, vous avez toujours fait plus qu’un boulot strictement artistique ?
Je crois que maintenant, tu n’as pas le choix, si tu veux exister un minimum en tant que groupe. Après, avec mes potes Jako et Matia, on a presque une envie de faire chier, tu vois. Genre « tu aimes pas ? Ah ouais ? Eh bien, tu vas aimer ! ». L’énergie que tu vas chercher pour convaincre.
La carte blanche que vous aviez faite au Rocher de Palmer, il y a trois ans, ça a été une grosse étape de franchie pour vous, non ?
Disons que je ne m’attendais pas à être capable de vendre 1100 billets à 18 euros. Côté programmation, j’avais invité des potes : Grems, Djedjotronic, Noob et tout, pour que les gens en aient pour leur argent, y compris en leur proposant des expos et des projections. En arrivant sur scène, quand je me suis rendu compte que la salle était pleine et que j’ai vu la ferveur des gens, j’avoue que j’ai un peu halluciné. C’était la fin de notre tournée. La veille, on était à Lyon. On était partis à trois heures du matin pour pouvoir commencer les branchements à huit heures du matin au Rocher de Palmer. C’était une galère. On n’avait pas dormi. C’était chaud.
Quand vous jouez à Bordeaux, c‘est carton plein : Agora, au pied du pont Chaban, et la soirée de dévernissage de l’expo Transfert à Castéjà…
Agora, c’était gavé, c’était ouf. Et Castéjà c‘était complet, oui. Ils ont vendu les billets par vagues : cent tickets par soir, pendant une semaine. Et à chaque fois les billets partaient en moins d’une demi-heure. Ça aussi, c’est assez ouf.
Vous aviez aussi joué aux Vivres de L’Art en invitant Salut C‘Est Cool en première partie, pour la première fois. Je me souviens, tu m’avais dit de ne pas louper ce truc. À mes yeux, c’est toi qui as découvert Salut C‘Est Cool.
Mais ouais, grave. On peut le dire, ah ah. J’ai failli les signer, d’ailleurs, sur notre label Universeul. Mais j‘avais pas trop le temps et ils ont eu une offre de Barclay. Pas une très belle offre, d’ailleurs, que j’aurais pu largement concurrencer. Mais j’ai décidé de ne pas le faire, car j’allais mal le travailler, et j’aime trop ce groupe pour le mettre dans un tiroir.
Tu n’as pas sorti Salut C‘est Cool, mais tu as sorti la PIP, la marque de bière dont tu es un des associés avec deux potes à toi ?
En tant que musicien, je bois beaucoup de bière, mais je n’avais jamais pensé qu’on pouvait faire de la bière à la maison, genre dans la cuisine avec une casserole ! Pour moi, c’était des packs qu’on achetait au supermarché. Quand mes potes m’ont fait comprendre que c’était un processus à la fois simple et cool, ça a renforcé l’image de convivialité que j’avais de la bière, et surtout, j’ai compris que tu n’es pas obligé d’acheter de la bière qui a toujours la même gueule, toujours le même goût, toujours la même mousse.
Tu as fait du placement de produit dans la vidéo de Vilaine…
Oui, et je demande aussi systématiquement de la bière PIP sur le rider du groupe, dans toutes les salles de concert qui nous accueillent.
Bon, et sinon, faire la une des magazines, vous le vivez bien ?
Moi, non. J‘aime pas du tout voir ma face. J‘ai pas très bien réagi quand on m’a envoyé la couv de Tsugi. J’ai appelé nos attachés de presse : « là, faut arrêter »…
Comment ça ? Au contraire, c’est qu’ils ont fait du bon boulot…
Grave. Mais bon, je ne veux pas faire de couv, je ne veux pas faire de télé, je ne veux pas faire toutes ces conneries. C’est un peu… C’est un peu chiant, quoi. Juste voir ta gueule, c’est chiant.
Et Dolziger Str.2, le nom de votre album, c’est une adresse ?
C’est le nom de la rue où on habitait à Berlin.
Vous avez habité à Berlin ?
Ouais, pendant sept mois. En fait, on est partis là-bas pour composer cet album.
Sept mois dans une ville, on peut dire « habiter » alors ?
Ouais.
À partir de combien de temps on « habite » ? Une semaine ? C’est quoi la différence entre « être en vacances » et « habiter » ?
Euh… C’est une bonne question. Disons que c’est quand la serveuse du bar d’en bas de chez toi t’invite en after à la fermeture. Elle ferme pour tout le monde sauf pour toi, parce que t’habites le quartier. Ça peut prendre deux jours comme deux mois.
Ça vous a pris deux jours ?
Ça nous a pris deux mois.
Vous allez lui envoyer le disque ?
C’est fait. On l’a mise en photo sur la pochette.
Vous êtes tous basés à Bordeaux en ce moment ?
On habite tous les trois dans la même maison. Une grande baraque. Chacun un étage. Chacun avec sa meuf. On est ensemble, tous les six.
OK, pour conclure, tu n’as pas une date bordelaise de Odezenne à m’annoncer, là, en avant-première, genre scoop ?
Figure-toi que j’ai réussi à mettre autour de la table : le Rocher de Palmer, le Krakatoa, la Rock School Barbey, Rock Et Chanson, Base Productions et les Vivres de l’Art, pour faire un festival de musiques actuelles, dans Bordeaux intra-muros. Un festival un peu chiadé, tu vois. L’idée, c’est de faire un beau retour de résidence pour Odezenne, car toutes ces salles nous ont aidé à préparer notre concert à l’Olympia. On ne pouvait pas faire un concert chez l’un ou c’est l’autre, pour ne pas faire de guéguerre, donc on s’est dit qu’on allait le faire ailleurs. Quitte à le faire ailleurs, pourquoi ne pas être à l’initiative d’un festival, avec de la scène locale, mais pas que. C’est quelque chose que tous les Bordelais attendent depuis longtemps.
Un peu comme Noir Désir avaient fait à l’ancienne Gare d’Orléans ?
Exactement. C’est ça que j’ai donné en exemple. On cherche le lieu et on est déjà sur des plans. J’espère que ça va se faire.