Tout d’un coup, son nom m’évoque un crédit sur une série de photos du groupe bordelais Aerôflôt, une maison astucieusement aménagée au fond d’un passage à La Bastide (et qui avait bien buzzé sur les blogs spécialisés !), quelques confidences à la dérobée, et, pour le résumer sans faire de détours, l’image d’un mec cool – avec sa part de proie à quelques démons. Quelqu’un d’intéressant, tout simplement. De talentueux, démerdard et intéressant.
Cela m’a fait un choc d’apprendre le décès brutal de Jérémie Buchholtz [ici via Sud Ouest] – comme cela à dû être un choc pour tous ceux qui le connaissaient
J’étais passé chez lui pour l’interviewer, pour servir de base à un projet pro qui n’avait pas abouti, et je prends la liberté de publier ici un extrait de cet entretien. Je le fais en hommage au gars, tout simplement, et en hommage à son boulot.
Tempus Fugit, « le temps s’enfuit », comme on dit en latin. Plus que jamais, comme toujours dans ce genre de circonstances, je persiste à penser qu’il faut tâcher de profiter de chaque seconde avec le plus de sensibilité possible. Le temps s’enfuit, et il ne reste plus de nous que des images.
Tu travailles sur ton nouveau site : n’est-ce pas frustrant, pour un photographe, de devoir montrer son travail par le biais d’un site internet, aussi personnel soit-il ?
Jérémie Buchholtz : J’aime bien l’idée d’y présenter les images plein pot, sans fioriture. Certes, on est bien obligé de parfois remettre les photographies dans leur contexte. C’est le cas pour les grandes photos de ma série personnelle « Tempus Fugit ». Il faut trouver le moyen de donner une échelle. C’est indispensable pour comprendre le travail. Sur internet, le spectateur est devant un écran bidimensionnel, avec des pixels, alors que l’on présente un travail aux dimensions de trois mètres de large en 400 dpi sur de l’argentique avec un rapport à l’image qui se vit – et c’est d’ailleurs tout l’intérêt de ce travail-là. Devant l’objet, le déplacement ne se fait pas en manipulant la souris ou le pavé tactile mais de manière physique ; la personne qui fréquente l’image est obligée de bouger son propre corps.
Idéalement, quel support privilégier pour montrer son travail ?
Je suis un photographe qui a vocation à faire des images qui seront diffusées sur tous supports. En tout état de cause, je ne suis pas de la génération qui se contente de montrer ses images uniquement sur Facebook ou sur les autres réseaux sociaux. Le côté « noble » du photographe, en tout cas tel que je l’imagine, c’est que l’image se retrouve sur un support à même de mettre en valeur le travail : une exposition, une installation ou bien un ouvrage… qu’il s’agisse de l’édition d’un livre, d’une revue ou d’un magazine. Depuis que je fais ce métier, j’ai quand même le souci, quand je pars sur une série, que ce soit un travail personnel ou de la commande, d’aller vers des images qui seront vues et consommées.
Consommées par quel type de spectateurs ?
Eh bien par des gens que cela intéresse ! Je ne vais pas imposer mes images. Il ne s’agit pas d’une démarche gratuite. Ces images sont censées exister pour argumenter un propos qui intéresse des gens.
Quelle différence fais-tu entre travaux personnels et commandes ?
La frontière est parfois ténue. Quand on m’invite en résidence d’artiste, évidemment, c’est un travail personnel, mais le cadre est quand même celui d’une commande. Quand l’Institut français de Géorgie, par exemple, me fait venir pendant quinze jours à Tbilissi, c’est pour un travail artistique, pour lequel j’ai une carte blanche totale. Je produis des images qui vont être exposées six mois ou un an plus tard, au même endroit. Il m’arrive que l’on me passe des commandes où l’aspect personnel du travail s’estompe. Par exemple, suite à un appel d’offres, la Fabrique de Bordeaux Métropole m’a sélectionné, avec deux autres photographes, pour poser un regard libre sur des opérations d’urbanisme. C’est de la commande. On est dans un cadre institutionnel tout à fait réglementé et référencé. On ne peut pas parler de démarche personnelle d’un point de vue artistique. Toutefois, il nous est demandé de poser un regard qui soit le nôtre, et pas celui du voisin. On est encore à la frontière.
Comment donner une définition simple et précise de ce qui serait un « travail personnel » ?
Un travail personnel, personne ne m’a demandé de le faire. Il est motivé par l’envie, par le besoin, par le moment.
A contrario, comment définir le reste de son travail ?
A 90 % du temps, je pense que je suis un artisan. Je réponds à de la commande, avec très peu de marge de manœuvre, et en m’appliquant du mieux que je peux. Il est impossible d’effacer tout aspect personnel : il n’y a pas deux artisans qui travaillent de la même manière. Mais quand je travaille pour des architectes ou des urbanistes qui me demandent, par exemple, de faire du suivi de chantier, je ne vais pas m’amuser à partir dans tous les sens, à poser un regard alternatif ou à chercher des détails ludiques. Cela pourrait m’amuser, mais ce n’est pas pour cela que l’on me paye. On me paye pour être régulier. On me paye pour ne pas défaillir. On me paye pour être pro. On me paye pour être bon. Et là, c’est de l’artisanat.
Y a t-il une constance dans la nature des commandes qui te sont faites ?
La colonne vertébrale, c’est le patrimoine. Majoritairement de l’architecture et de l’urbanisme. Ça peut aussi être de la gastronomie, au sens culturel du terme. Pour les éditions Confluence et la revue Le Festin, avec qui je collabore depuis des années, cela va du portrait de grand chef à la photographie d’un plat ou de produits. Dans ma palette, je fais aussi de la photo de mode dans le domaine de la haute couture, pour des shootings de « pack shots », et il m’arrive également de faire ce que l’on appelle du « reportage corporate » comme, prosaïquement, couvrir des événements pour des entreprises. Quand une banque m’appelle car il y a besoin d’un photographe pour un événement qui rassemble six cent personnes au Palais des Congrès, je sais le faire.
Du reportage dans la grande tradition du photographe de mariage !
Attention, j’en ai beaucoup fait, quand j’étais étudiant, et c’est très formateur ! Je le recommande à tous les photographes qui veulent devenir professionnels. Quand on est musicien, il faut apprendre ses gammes. On ne débute pas en maîtrisant d’emblée un style personnel. Chacun a bien sur son parcours qui lui est propre, mais si l’on veut devenir un bon photographe professionnel, un artisan capable de savoir faire des reportages, au sens large du terme, le mariage est une excellente école. Cela enseigne à gérer le stress. On n’a pas le droit à l’erreur. On ne va pas demander aux mariés de refaire la sortie de l’église ! Gérer un mariage, c’est gérer de l’émotion, c’est gérer de l’humain et c’est gérer de la technique. J’ai appris cela à une époque où on travaillait avec de la pellicule. On ne ne pouvait pas prendre trois cent photos en rafale en se disant qu’il y en aurait une de bonne… Quand on arrivait en trente-cinquième pose au moment de la sortie, on avait intérêt à avoir anticipé un certain nombre de questions. Noir et blanc ? Couleur ? 400 ASA ? 200 ASA ? Intérieur ? Extérieur ? Avec flash ? Sans flash ? Peau noire ? Peau blanche ? Quelle lumière ? Quel diaphragme ? Quelle vitesse ? Quelle sensibilité ? Quand on ne peut pas dire « on la refait, excusez-moi », on apprend le métier.
A l’exception intrinsèque des portraits, l’humain paraît assez absent de tes photographies, qui sont fort peu habitées. Gouterais-tu un univers dystopique duquel l’homme devrait peu à peu disparaître ?
Je ne m’en rends pas forcément compte. Peut-être est-ce une démarche inconsciente ? En ce qui concerne le portrait, il se trouve que j’en ai plein. Mais je ne les montre pas. Peut-être parce que je ne crois pas être un photographe de portraits. Ce n’est pas ma spécialité, même si je le fais. L’année dernière, c’est moi qui ai réalisé les portraits pour le Fifib : des portraits en noir et blanc de comédiens et de metteurs en scène, et c’est vrai que je me suis piqué au jeu… et je dois avouer que j’ai eu de bons retours. Bizarrement, je ne le revendique pas. C’est comme les photos que je fais dans la mode, je n’ai pas envie de communiquer sur cet aspect de mon travail, outre les clauses de confidentialité qui m’en empêcheraient sans doute. Disons que j’ai déjà assez de choses à montrer. Au-delà de ça, je les fais pour des commanditaires très variés, avec des cadrages très différents, si bien que je ne crois pas avoir assez de régularité dans ma façon de faire les portraits. Je préfère insister sur le fait que je fais surtout de l’architecture, de l’urbanisme, de l’art contemporain et de la photo plasticienne. Toutes les semaines, je produis des centaines d’images – je ne parle pas des rushes, mais bien d’images éditées et publiées : je dois bien faire une sélection de ce que je montre. Il en résulte une majorité d’images vides, du fait que je travaille beaucoup pour des architectes et des urbanistes, et, c’est un fait, pour bien lire l’espace, il est souvent montré vide.
Photographies :
A bord du Belem, entre Cannes et Port-Vendres (2014), par Jérémie Buchholtz.
Photographie de presse du groupe Aerôflôt (Bordeaux, vers 2005), par Jérémie Buchholtz.