Pour ou contre Eric Roux ? Pour la double page Entretien du n° 56 de Junkpage (mai 2018) j’ai interviewé le directeur de la Rock School (Bordeaux).
Le journal Junkpage est disponible un peu partout sur l’agglo bordelaise et dans une large sélection de lieux culturels de la Nouvelle-Aquitaine, partez vite à sa recherche !
Une version en ligne de l’article devrait être disponible dans les meilleurs sur le Tumblr de Junkpage mais même si on aime tous glandouiller sur internet, ça rend quand même bien moins bien que sur le journal.
Making of :
J’ai beaucoup bossé pour la Rock School dans une vie antérieure. J’y ai même eu un bureau, de 2000 à 2010. Je peux même vous dire qu’après mon premier poste à Radio Campus Bordeaux 88.1 au siècle dernier, j’ai fait mes premiers cachets pour la Rock School. J’assistais l’ancienne chargée de com de la structure sur la promo de terrain.
J’ai rencontré Eric Roux pour la première fois en octobre 1992 pour une interview (eh oui déjà) au sujet de la création d’un réseau rock inter-régional (eh oui déjà) et d’un concert réunissant les Chinese Radio Kids, les Thompson Rollets et les Burning Heads (eh oui déjà).
Je dis ça pour désamorcer les accusations de connivence qui pourraient m’être portées. Je sais que le rédacteur en chef de Junkpage avait hésité à me confier ce papier, pour ces raisons précises.
Je pense avoir fait le job correctement – je vous laisse juges – et en lisant quelques autres papiers similaires publiés ces derniers temps (30ème anniversaire de la Rock School oblige) je vois que je suis le seul à avoir posé certaines questions plutôt frontalement, comme celle de la longévité d’Eric Roux au poste de directeur, sans renouvellement (il se défend en argumentant, vous verrez qu’il parle d’une « remarque vicieuse », ah ah).
Enfin, bien entendu, le vouvoiement est un recours formel. Dans la vie, on se tutoie, comme Louis de Funès et Bernard Blier dans le film Jo – ce chef d’oeuvre de 1971.
L’entretien que je poste ci-après inclut des propos qui ne figurent pas dans l’article publié dans Junkpage, faute de place disponible.
La Rock School a été fondée à Bordeaux en 1988, émergeant dans un paysage où les structures similaires – y compris au niveau national – sont l’oeuvre de militants bâtisseurs, pour citer l’expression de la fédération des lieux de musiques actuelles Fédurok. Le modèle Rock School s’est construit en associant le concept de transmission à la simple diffusion pure et dure, et en faisant le choix de la légitimation et de la pérennisation par la mise en place d’un financement public. Eric Roux, qui ne s’imaginait sans doute pas il y a trente ans devoir gérer un budget annuel d’1,8 million d’euros dirige la structure depuis sa création.
L’histoire de la Rock School semble aller de concert, si on ose dire, avec celle de votre propre carrière professionnelle ?
Tout à fait. On peut dire que le projet Rock School a émergé parallèlement à la validation d’un diplôme que je préparais. J’avais deux passions dans la vie : le rock’n’roll et le football. Même si j’avais déjà passé un brevet d’Etat d’éducateur sportif – spécialité football – il était impensable d’envisager quoi que ce soit dans ce milieu complètement sclérosé. Un collègue pion m’avait parlé du Defa, le diplôme d’Etat aux fonctions d’animateur socio-culturel, qui pouvait se préparer dans le cadre de la formation professionnelle. En tant que punk, ce que j’étais à l’époque, l’animation socio-culturelle, ça ne m’évoquait pas grand chose – si ce n’est, quelque peu bêtement, une façon de remettre la jeunesse dans le droit chemin. Mais bon, j’y suis allé : deux ans de formation continue, suivis d’un stage d’insertion au sein d’une structure d’animation, sur la base d’un projet professionnel. Mon projet, c’était l’organisation de concerts. Je persiste à croire qu’organiser des concerts, il n’y a rien de plus facile si on n’est pas trop con. Dans mon projet, ce qui faisait la différence, c’était quelque chose qui tienne compte de la transmission de ces musiques : ce qui s’est appelé la Rock School !
J’en avais déjà une certaine vision (pas de solfège, par exemple), et une expérience.
Oui, vous aviez déjà l’expérience des concerts de punk.
Eh oui, car bien que né à Floirac, j’ai passé toute ma jeunesse à Sauveterre-de-Guyenne. J’y publiais le fanzine Dernier Bastion et y ai organisé de nombreux concerts, de 1980 à 1983, au sein de l’association CCS : OTH, Camera Silens, Stalag, Les Ablettes…. Le 7 juillet 1983, suite au concert du groupe Oberkampf et aux graves troubles à l’ordre public enregistrés – deux panneaux de signalisation arrachés et un bombage « vive l’anarchie », le maire, au cours d’un conseil municipal extraordinaire, décide de nous supprimer l’accès à la salle des fêtes. On remonte l’asso plus tard sur Bordeaux pour des concerts à la salle des fêtes du Grand Parc, dont les Bérurier Noir le 4 mars 1988, avec plus de mille entrées.
Ce flash back étant posé, on se trouve au moment où vous restait à trouver un lieu… il y a trente ans. On devine qu’il s’agit du Théâtre Barbey…
En effet. Le Théâtre Barbey était alors géré par l’association des centres d’animation de la ville de Bordeaux. J’avais été reçu par la directrice, madame Danièle Dantou – paix à son âme – convaincue par le sérieux du projet. Elle m’a mis la salle à dispo pour les concerts, confié la gestion du bar et laissé carte blanche pour la programmation – à la seule condition qu’eux-mêmes ne mettent pas un rond là-dedans ! Comme on avait fait jouer les Béru à la salle des fêtes du Grand Parc, on avait sympathisé avec Marsu, Hellno et toute la clique et on s’est retrouvé à faire jouer tous les groupes du catalogue Bondage, puis ceux du label Boucherie. Jusqu’à 1991, je suis aux manettes de cette programmation, qui se déroule exclusivement au Théâtre Barbey.
Comment était la salle ?
Totalement différente de ce qu’elle est maintenant. Un théâtre à l’italienne, avec un balcon, et cinq cent places assises. Pour notre premier concert, Ludwig Von 88 en mai 1988, il nous faut démonter les sièges, les stocker dans la cour, faire le concert et remonter les sièges ! On revisse le dernier siège à 5 heures du matin. Il fallait refaire ça à chaque concert mais on est vite passé au revissage d’un siège sur deux, puis d’un sur trois, puis d’un sur dix… Les rangées devenaient de plus en plus fluctuantes !
Comment le projet a-t-il évolué ?
Très vite, le rock se met à s’institutionnaliser, avec Jack Lang au ministère. Au-delà du folklore de l’underground, notre volonté est que nos musiques intègrent la sphère publique et qu’elles soient soutenues, au même titre que le jazz, l’opéra, la danse classique, etc. Ce n’était absolument pas le cas à l’époque. En 89, lors de ma deuxième année de formation, je découvre une publication super sexy intitulée La Gazette des Communes, je vous en recommande la lecture… Je la feuillette et je tombe sur l’annonce de la création de l’Agence de rénovation des petits lieux musicaux. Le ministère était prêt à mettre 500 000 francs sur des projets à condition que la ville d’accueil en mette autant. J’en donne immédiatement une photocopie à la directrice et lui dis : voilà ce qu’il faut faire ! Elle me répond : allez-y, faites un dossier. On avait déjà démarré la première saison « Rock School » en septembre 1988…
Qui ne s’appelait pas encore Rock School ?
Je crois que je n’étais pas très inspiré : ça s’appelait « les ateliers musicaux ». Un nom bien socio-cul ! Avec un logo par un objecteur de conscience de l’auberge de jeunesse qui nous a pondu ce qu’il ne fallait surtout pas faire : un rocher dans lequel avait été taillé une guitare électrique ! C’est François Renou de Clubs Et Concerts qui a sorti le nom « Rock School » un an plus tard. On était très proches, et on finançait pas mal Clubs Et Concerts de part le volume de publicité qu’on faisait paraître : il nous a laissé reprendre l’expression. II y avait une notion de combat dans ce nom qui claque ! Si on s’était appelé « école de rock », la moitié du public aurait cru qu’on donnait des cours de danse !
Plus d’un groupe anglophone a du se fendre d’un large sourire à l’idée de se produire dans une « rock school » toutefois …
C’est bien possible.
Pourquoi ne pas avoir gardé le nom « théâtre » ? C’est un nom noble, et ça marche aussi bien en français qu’en anglais…
Le théâtre, c’est le théâtre. Avant nous, le Groupe 33, une compagnie d’ailleurs toujours en activité, y était en résidence permanente. La cour était une enfilade de loges, dont celle réservée au Groupe 33. Notre projet n’était pas la création d’une salle polyvalente, mais bien d’un lieu destiné à la pratique et l’écoute des musiques populaires. On a depuis été dénommés Théâtre Barbey, la Rock School, Rock School Barbey, Barbey Rock School… Peut-être trouvera-t-on un jour le communicant en mesure de nous régler le problème ?
On n’a qu’à vous appeler « Salle de Rock Chaban Delmas » et on n’en parle plus !
Je retiens pour le futur projet d’extension…
Au fil des années, vous vous êtes plus mis à fréquenter les cabinets des politiques que les clubs et les concerts ?
Si des lieux comme Barbey à Bordeaux existent, ou le Bikini ou le Confort Moderne àToulouse et à Poitiers, c’est parce qu’on s’est battu pour les avoir. Pour que nos histoires dites de musiques actuelles avancent, l’enjeu n’était pas d’être présent à tous les concerts. Là où se décident les choses, c’est dans les lieux de pouvoir : mairie, conseil départemental, conseil régional, ministère de la culture… Il fallait aller s’y battre, dans le but de négocier des parts d’aide publique pour les musiques populaires. On est allé discuter politiques publiques et financements. Or, effectivement, le financement des politiques publiques ne se discute pas au coin d’un bar dans une salle de concert. Un peu plus maintenant, avec des gens qui sont à la fois directeurs de cabinet ou élus et des fans de nos musiques… et tant mieux ! Mais j’ai connu une époque où ça n’existait pas. Au mieux ils écoutaient du jazz.
La vision des élus a donc aussi évolué…
Au début, ils ne voyaient que sex, drugs & rock’n’roll. La première aide publique que nous avons obtenue l’a été à travers le conseil communal de la prévention de le délinquance ! Plus personne ne dirait aujourd’hui : ce que vous faites n’est pas de la musique, c’est du bruit, et vous le faites pour un public de délinquants potentiels. Il a fallu gagner notre légitimité à discuter avec les pouvoirs publics, en démontrant une capacité d’intervention. La notion de transmission défendue par la Rock School nous a permis d’intervenir en maison d’arrêt, en milieu hospitalier, dans les quartiers. Partout, en somme.
Vous voilà à présent partisan d’une régulation ?
Complètement. Dans le contexte d’une concentration verticale au sein des entreprises capitalistes de ce secteur, je souhaite qu’il existe une vraie régulation, qui permette à des lieux comme les nôtres d’exister.
C’est très français comme positionnement !
Sûrement. Je ferais remarquer toutefois que nous sommes en France. Un pays où il existe des choses fantastiques ; comme la possibilité de se réunir en association, et celle de discuter avec les pouvoirs publics pour expliquer que nos actions culturelles sont d’intérêt général, et susceptibles de bénéficier d’un financement public. On peut préférer ça à un « marche ou crève » peut-être plus anglo-saxon.
Depuis la création de la structure dont vous fêtez l’anniversaire, celle-ci n’a connu qu’un seul directeur : vous-même.
Le lieu est géré par une association, gérée par un conseil d’administration, et un président. Ce conseil d’administration n’inclut aucun membre de droit, que ce soit de la ville, de tout autre collectivité territoriale voire du ministère de la culture. Ce n’est pas le cas partout. Quand Alain Juppé a été élu maire, il aurait pu formuler quelques demandes. On n’a jamais eu de pressions de quelque ordre que ce soit. Je suis un salarié, il est vrai à la longue longévité, comme cela peut arriver dans la vie de toute structure de droit privé. Cette remarque vicieuse me fait penser aux interrogations d’un conseiller de la Drac qui me demandait ce que je pensais faire quand je serai « un petit peu plus vieux » – comme si la gestion d’un tel projet ne pouvait plus se faire à partir d’un âge limite. Il est vrai par ailleurs que ce projet, c’est moi qui l’ai proposé, moi qui l’ai construit et moi qui l’ai défendu.
Quelle serait la plus grande erreur commise, le plus grand regret ?
Quand la salle a connu sa première reconstruction, en 1997, sur les trois projets des équipes qui avaient concouru, deux prévoyaient de garder le théâtre tel qu’il était, avec une jauge à 1200 places (au lieu de 800 actuellement) et tout le reste dans la cour. Je ne vais pas mentir : avec le recul, j’aurais préféré que soit conservée une salle au rez-de-chaussée, plutôt que de monter d’un étage… Mais on ne va pas refaire l’histoire, et de toute façon le choix ne m’a pas incombé, puisque la décision, comme le voulait la règle, a été prise par un jury composé de sept élus, sept personnes ressources et sept architectes.
Comment ne pas rester sur cette note de regret ?
Il existe à l’heure actuelle un nouveau projet de rénovation et d’extension de Barbey, avec un concept de lieu de vie complet. La mairie de Bordeaux a lancé une étude en ce sens, confiée à l’agence parisienne Café Programmation, spécialisée dans les architectures culturelles. Cette étude est quasi bouclée. On étudie divers scénarios, dont certains nous plaisent beaucoup. Cette nouvelle tranche de vie du lieu, ce sera un nouveau cap à franchir, et à réussir.
Pour un départ à la retraite sur une bonne note…
C’est vrai. Il y a de ça.
Propos recueillis par Guillaume Gwardeath et Vincent Filet, pour le journal Junkpage.
Bonus 1 :
Archives concerts 1980-1987 à Sauveterre-de-Guyenne.
Avec Stalag, STO, Camera Silens, OTH, Oberkampf, etc.
Bonus 2 :
Archives concerts 1980-1987 à Bordeaux à la salle du Grand Parc et au Théâtre Barbey.
Avec Bérurier Noir, Nuclear Device, Ludwig Von 88, Les Rats, les $heriff, Les Thugs, La Souris Déglinguée, les Wet Furs, etc.
Photos : Rock School Barbey et Guillaume Gwardeath
Dessin du Théâtre Barbey : Vincent Marco
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