François René de Chateaubriand le relevait avec justesse : les Français sont “constants et invincibles dans l’adversité”. Ce ne sont certainement pas les galères de tournée qui pourraient faire naître en leur esprit abattement et renoncement.
“On joue à l’étage d’une pizzeria. La première blague, c’est que le mec qui organise la soirée (qui ne fait pas partie du restaurant) a amené pour nous des pizzas premier prix au pizzaïolo pour qu’il les cuise dans son four. On est un peu dingues parce que tout le monde mange des pizzas de ouf sauf nous…” Ces lignes sont celles du groupe Marylin-Rambo en introduction du récit d’une bonne soirée de lose à Orléans, dans le recueil Feuille de route qui vient de paraître aux Editions du Parasite.
Une quarantaine (pas ce genre de quarantaine, l’autre) de pages compilant des souvenirs de tournées riches en déconfiture et déconvenues, aux alentours des années 2010, telles que vécues par Erez Martinic, France Sauvage, Suboko, Radikal Satan, Ghost Mice, Besoin Dead ou La Fraction…

Un florilège de faux plans, embouteillages, douaniers américains, douaniers turcs, douaniers péruviens, crackheads brésiliennes, chauffeurs de bus sans permis de conduire, chauffeur de fourgon Peugeot au “spleen proche de la folie”, dégondage, pot d’échappement qui s’échappe, pneu et coeur crevés, batteur bourré qui veut ramener des putes, odeurs de mégots froids dans des hangars humides, taboulé servi dans les chiottes, bière tiède, chiasse liquide et croûtes au cul, du vomi sur les canapés-lits, du vin blanc au petit déjeuner, et tout cela pour des concerts : “concert raté devant plein de gens ou réussi devant personne”.
Il faut dire que l’échantillon de groupes retenus évolue dans une scène paraissant privilégier les concerts dans une typologie de lieux à risques : énormes ateliers transformés en lofts artistiques borderline gérés par des programmateurs amnésiques (catégorie bien représentée, visiblement) et/ou aux cheveux très sales et/ou en descente d’acide, ou anciens garages “aux pierres apparentes érodées par un siècle de pluie et soleil” (Le Pétrolier, à Bordeaux, pour les vétérans) où, à demi-noyées dans de larges flaques d’eau gisent, encore branchées au secteur, disqueuse et scie-sauteuse.

C’est le plus souvent fort bien écrit. On se marre, même si on ressent une légitime déprime (certains comportements sont complètement inconscients). Voilà une bonne question que finit par se poser un groupe en perdition dans un squat à Porto : “Pourquoi sommes-nous venus ?”
Le thème des galères de groupes en tournée est un grand classique de la narration rock, du film Spinal Tap au “Trip Advisor de l’enfer” fraîchement publié par Le Gospel sur son site (“un mec balafré qui parle russe avec des chiens nous dit de le suivre”, etc.).
Dans tous les cas, la conclusion paraît la même : on en rit plus tard (la fameuse équation “humour = tragédie + temps”).
D’autres numéros de Feuille de route sont d’ores et déjà annoncés par les Editions du Parasite.
En attendant, nous pouvons savourer la paix de ne pas soi-même être embarqué dans un groupe et de ne pas avoir à partir en tournée dans ces univers libertaires mais rudes.
Chronique et photo : Guillaume Gwardeath (plus ou moins en fuite en avant vers le néant sur Facebook, Twitter, Instagram et Pinterest)
Merci : Mehdi et Elisa
Archive photo bonus : Petit incident pour The Decline en route pour jouer à l’Heretic Club à Bordeaux, en mai 2012 :

NB : ils arriveront à destination – avec un autre véhicule, oui, bonne intuition ami lecteur – et donneront un excellent concert dans une ambiance elle-aussi tout à fait chaleureuse.