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Camera Silens par Camera Silens. Et toi, Scarzello, on te demande de ne pas trahir.

De cette engeance, s’il en existe un qui n’a pas usurpé son statut de « groupe culte », c’est bien Camera Silens.

Quand je traînais avec les rockers à Bordeaux, Camera Silens revenait dans bien des conversations. Quelques mecs m’avaient lâché des révélations sur le destin de Gilles Bertin (mort dans tel pays, vivant dans tel autre), autant de secrets invalidés par le stupéfiant retour de Gilles Bertin en personne, debout face à la justice, debout face à son destin, debout face à son passé, debout face à son futur, debout face à la mort.

Gilles Bertin n’a laissé à personne d’autre que lui le privilège d’écrire son testament : « Trente ans de cavale. Ma vie de punk.« , 250 pages parues en février 2019 chez Robert Laffont. Moins de 100 y reviennent sur l’époque du groupe : squats, sueurs froides, intoxications, deal, larcins, tribunal correctionnel, incarcération – « le No Future pris pour argent comptant »

Nous marchions constamment au bord du gouffre, les yeux bandés, tels des funambules. J’avais vu des mecs mourir d’overdose, le Grand s’était fait tirer dessus, le Petit David s’était noyé dans la Garonne, Pat était parti rejoindre Sid Vicious et le Gitan en prison était mort dans un bain de sang. Nous avancions dans la vie main dans la main avec la Grande Faucheuse, c’était comme ça. Après la mort de Paco, les mots que j’avais tatoués sur mon épaule annonçaient la couleur : « WHO’S NEXT ? »

Gilles Bertin, Trente ans de cavale
Pochoir de Gilles Bertin par l’artiste Poch, publié en 4ème de couverture par le fanzine en deuil B.R.A. n°8 (Bordeaux, novembre 2019) -« numéro dédié à la mémoire de Gilles Bertin (1961-2019) ».

L’histoire de Camera Silens comme aventure collective, la voilà rapportée par Patrick Scarzello dans « Camera Silens par Camera Silens« , 300 pages bien tassées qui paraissent ce 4 juin 2020 chez Le Castor Astral. « Rapportée », car le livre est construit selon le principe de l’histoire orale : ce sont les membres du groupe ainsi que leur manager qui se confient.

Difficile de trouver un modérateur plus crédible que Patrick Scarzello. Gilles Bertin en avait raconté l’adoubement dans sa « vie de punk » Scarzello avait été bizuté dans les règles de l’art : paquet de clopes taxé d’entrée, lame menaçante agitée devant sa gorge, ambiance relax (« Tiens, tu poses les mêmes questions que les flics ? »), et petits recadrages (« Et toi, Scarzello, on ne te demande pas d’apprécier, on te demande de ne pas trahir »). Au final, deux heures d’entretien et ces lignes de reconnaissance signées de la main de Bertin : « Patrick Scarzello sera l’un des rares à saisir les approximations de notre discours anarcho-bordélique trempé dans du gros rouge qui tache. Du lumpenproletariat à la bande à Baader. De l’esprit de la mouvance skinheads dans l’Angleterre de 1969 jusqu’à sa dérive fascisante des années 80. Néo-punk, rocksteady, anarchie, bière, baston et prison, pas facile d’y voir clair dans ce méli-mélo énervé. Colère, urgence, et auhenticité. Chaud devant, faites place aux punks, cassez-vous, les bouffons ! »

Factuelle, la biographie commence par nous ramener place Saint-Pro et sur les pavés des rues Hugla et Bouquière derrière les façades « quasi gothiques » de Bordeaux-la-Noire, dans les « bars de nuit repaires à coupe-gorges » des quais, et nous plonge dans un apprentissage musical qui se fait au son des vinyles des Stooges, des Clash, des Ramones et surtout des Damned, suivis de la vague street punk, encore plus appréciée, avec Sham 69, Angelic Upstarts et UK Subs…

« Tout était chiant en ces débuts des années 80, mais il y avait aussi tout à inventer ! » rappelle Benoît, le guitariste (et seul fil rouge de toute cette saga décousue), en mettant les points sur les i.

Etant donné l’histoire de Camera Silens, je ne suis pas sûr que l’on puisse parler de récit « haut en couleurs », mais en tout cas nuancé en niveaux de gris.

En bonne place dans le port folio encarté dans l’autobiographie de Gilles Bertin, cette photo prise par Jean Zindel au Chaos Festival d’Orléans en 1984 : « Face à moi, 2000 crânes rasés ».

Matos de musique braqué en 4L à même le dépôt de la fanfare de l’armée de l’air (et, oui, ça se conclut direct par une arrestation en flagrant délit, une garde à vue et de premiers sursis), essais avec le futur Mano Solo au poste de chanteur (non concluant – « voix alors fluette »), tremplins rock en finale contre Noirs Désirs (à l’époque au pluriel), tournées de bières jusqu’au bout de la nuit à Brest avec Brutal Combat, l’hallucinante bagarre générale du Chaos Festival à Orléans 1984 (public défoncé, pogo agressif et les mecs du service d’ordre qui caressent leurs battes dès les premiers morceaux du concert de Camera Silens – « Même pour rentrer backstage, j’ai failli me faire dépouiller par les bikers locaux censés faire la sécu » raconte le batteur Bruno) : le livre qui paraît aujourd’hui aura toute sa place à côté de tes deux albums de Camera Silens et de tes deux 33 tours Chaos En France, camarade punk.

Extrait d’un article d’Henri Haget intitulé « Les vies déglinguées d’un enfant du punk » paru dans le journal Le Monde daté du mardi 5 juin 2018

A vie romanesque, lecture passionnante. Pour la gloire, comme il se doit, mais encore pour la mémoire ! Ce fut un groupe provincial, basique, instinctif, accessible et clanique. Avec Camera Silens, la rue a eu le groupe que la rue avait voulu.

Le punk rocker hardcore Luc Akerbeltz s’est pris la tête, mais il a retrouvé la rue où avait été prise la photo de pochette de l’album Réalité (mais il refuse de communiquer l’adresse dans un souci louable de lutte contre la gentrification sévissant à Bordeaux).

CREDIT
Photo de couverture du livre par Jean-Marc Gouaux (« Il y a eu une première session, vers les quais, dans le décor destroy de l’ancienne base sous-marine allemande, par une nuit hyper froide »).

ACHATS
Livre Camera Silens par Camera Silens, avec Patrick Scarzello. Castor Astral, collection Castor Music. 14 €.

Et bien sûr Trente ans de cavale. Ma vie de punk., par Gilles Bertin. Robert Laffont. 20 €.

Discographie à se procurer chez Euthanasie.

Pour se procurer le fanzine B.R.A., écrire à fanzinebra@hotmail.com

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