Mets ta liquette ! Il y a quatre ans sortait le livre Explosions Textiles – Mon premier T-shirt de groupe, paru chez Kicking Books/Everyday Is Like Sunday/Slime. Un ouvrage collectif dirigé d’une main d’acier par Nasty Samy et dans lequel une seleçao de la scène indépendante française élevée au hard rock, punk, hardcore et rock’n’roll y déballait son sac de vieux linge – dont votre serviteur.
Je me souviens que j’avais bouclé mon chapitre une année plus tôt à bord d’un tour bus. Véridique.
Le bouquin est épuisé aujourd’hui (voir précision en fin d’article ci-après), aussi ai-je pris la liberté de poster ci-dessous ma contribution à cette série d’explosions textiles…
Jamais lessivé !
Illustration du livre : Freak City Designs
Ce fut l’époque de la Terreur
Mon premier fantasme de T-shirt, c’était Iron Maiden. Les infos montraient des images de la guerre des Malouines et avec un ou deux potes de collège, pas plus, on se demandait si toute cette agitation allait plus ou moins dégénérer en troisième guerre mondiale (apocalypse atomique à la clé) et on se réfugiait dans notre chambre de pré-ados pour écouter les 33 tours de Maiden et se perdre dans l’admiration des détails des pochettes de Derek Riggs (on s’adonnait aussi à bien des activités sulfureuses comme imiter une signature parentale au papier calque sur une interro foireuse, ou mater Samantha Fox posant à poil dans un magazine…).
Un seul d’entre nous possédait du T-shirt Maiden, mais ce n’était pas moi. J’étais jaloux. Et j’étais même plutôt emmerdé car la vérité embarrassante, la voilà : mon premier textile de rock, ce n’était pas un T-shirt, c’était un bob. Eh oui, ce chapeau mou de joueur de boules. C’était un bob AC/DC, quand même. Mais c’était un bob. Détail embarrassant supplémentaire : c’était un bob que nous portions à tour de rôle, mon frère et moi. Vous voyez le délire imposé par ma maman. Vous voulez vous habiller avec des images de groupes de rock ? Très bien, mais ne comptez pas sur moi pour jeter par les fenêtres l’argent du ménage ! Vous aurez un chapeau, mais vous devrez le partager. Allez hop, un jour chacun, et silence dans les rangs. Pour rajouter au tableau, mon père le prenait pour aller à la plage. Mon premier T-shirt de rock, en quelque sorte, c’était un tiers de bob. Un b.
Si ma mémoire est bonne – car il y a inévitablement une bonne part de reconstruction a posteriori dans ce genre de pêches aux anecdotes – c’était un article promotionnel offert par le supermarché pour l’achat du 45 tours Hell’s Bells/What Do You Do For Money Honey (édition tournée France 1980-1981), ou bien un lot « stop affaire » exceptionnel – un bundle comme on dit de nos jours. Ce qui signifie que ce 45 tours, eh oui, aura aussi été mon premier vrai disque de rock.
J’avais donc la tête couverte, mais toujours pas le T-shirt qui va bien. Mes souvenirs sont confus, mais je sais qu’il m’a fallu attendre longtemps. M’armer de patience. Economiser l’argent de poche. « Tu t’achèteras tes habits quand tu gagneras ton argent » (ma mère, toujours). Eh bien, OK, ça s’est plus ou moins passé comme ça. J’ai commencé à bosser un peu au lycée, juste quelques mercredis après-midi et quelques week-ends, puis pendant les vacances. J’ai commencé à gérer un peu de flouze sur mon compte à la poste, mais ma priorité claire et nette, c’était des 45 tours de punk, des 33 tours de speed metal, et surtout des boîtes et des extensions de jeux de rôle. Donjons & Dragons, Chill, L’Appel de Cthulhu…
J’ai eu un perfecto (une imitation italienne) avant de porter des T-shirts. Avec quoi je portais mon perfecto ? Avec des pulls trop larges, comme le voulait la mode de l’époque, je suppose. Il faut que je vous touche deux mots sur l’économie locale du T-shirt dans mon coin de côte atlantique. L’uniforme, c’était le surf wear. Le collège était à 5 minutes à peine de la plage à vélo. Le lycée à 30 minutes de bus. C’était d’ailleurs un bon moyen de finir la journée, à la fin des cours, à partir du retour des beaux jours. Sensations printanières et petit saut sur le sable blond avec les copines. Bien plus formateur que d’essayer de résoudre les problèmes de math. Mais pour conclure l’équation : plage = surf = surf wear. Sur tout le territoire, les fabricants avaient installé leurs entrepôts de déstockage. Oxbow, Quiksilver, Billabong, pour ton anniversaire ou pour ton noël, ta tatie ou ta mamie savait quoi t’acheter, et où. Dommage pour toi si ta marque préférée c’était Anthrax, Suicidal Tendencies ou Nuclear Assault. Porter un T-shirt de thrash, ça aurait été cela la vraie subversion, et je le savais.
Je ne suis pas sûr à 100% que cela va clarifier les débats, mais je vais devoir y aller plus en profondeur dans la note biographique. A la fin de ma première année de lycée, je me suis retrouvé comme dans l’impossibilité de trancher entre punk et metal, entre Iron Maiden et les Ramones. Or les temps n’étaient pas oecuméniques, comme de nos jours, où l’on change de chapelle musicale en changeant de T-shirt, justement – ou plus prosaïquement juste en mettant à jour sa bibliothèque iTunes. La solution existait. Comme d’habitude, elle venait des Etats-Unis. Et la solution s’appelait : le crossover.
Restait à assumer cette identité. J’ai vu un jour Françoise Dolto expliquer ça à la télévision, comment le teenager la construit, son identité, entre deux éclatages de boutons devant la glace. Bon, quand on voit comment a fini ce sacré numéro de Carlos, on se demande si on a raison de réécouter maman Dolto aujourd’hui, mais quoi qu’il en soit le « complexe du homard » ça s’appelle, le truc ou bien « du crabe » – d’un fruit de mer en tout cas. L’adolescent est à une période de vie où il change de carapace. Il apprivoise son corps d’adulte. Il connaît des pulsions agressives, des angoisses, il expérimente des conduites à risques. Bref, il est mûr pour écouter du thrash crossover et arborer un T-shirt bien explicite.
Je crois qu’on peut définir le crossover comme la rencontre du metal et du punk chez un sous genre de hardos bien spécifique de la deuxième moitié des années 80 : les thrashers. L’expression a été consacrée par l’intitulé du disque de DRI sorti en 87. Musicalement ça donne une came idéale pour les enfants de la middle class blanche élevés aux céréales Kellog’s et aux désillusions sociales : le son est heavy, les guitares ont du crunch, et les groupes ont piqué au punk hardcore les breaks mid tempo connus sous le nom de «mosh parts». C’était les débuts du stage diving et du slam dancing, bien avant les clips de MTV2. Sans déconner, les trucs qui cartonnaient en ces âges ingrats c’était les merdes du Top 50 et quand tu tombais sur des gonzes qui n’avaient pas trop mauvais goût, au mieux ils écoutaient Springsteen, Suzanne Vega ou les Smiths… Mes anciens potes du collège écoutaient Dire Straits et dans les fêtes dans les garages c’était grosses sessions de air guitar sur des riffs de Inxs ou Midnight Oil. Avec mes ripes longues, mes Americana et mon jean elastis, j’écoutais Slayer et les Bad Brains et je me faisais un point d’honneur à clamer l’index bien haut que le hair metal c’était bien de la merde.
Bon, last but not least, tous ces groupes de thrash crossover avaient aussi ce truc qui fait la différence à cet âge où tu es en recherche de repères, homard parmi les homards. Ils avaient des textes vaguement politiques (en fait bien souvent anti-establishment et limite poujadistes, mais traduit approximativement de l’américain, ça passe tout seul), ils n’étaient pas avares de références à la culture populaire et à la culture bis (comics, films d’horreur…), et surtout : ils avaient des looks qui déchiraient (bandanas, chemises à carreaux de prolos ricains bien avant l’avènement de la mode grunge, bermudas californiens, perfectos et veste en jean sans manches : les grands frères idéaux). Et en plus ils étaient quasiment tous branchés skate. Un sacré gimmick, ça, le skate comme véhicule étendard de la rébellion urbaine. Quand même autre chose que de faire le tour du lotissement à mobylette. Avec le recul, voilà ce que c’était : un bon univers parallèle à me construire pour m’aider à supporter une vie adolescente faite d’ennui métaphysique et de frustration.
Quand je pense crossover, thrash, punk et skateboard, c’est le morceau « Possessed To Skate » de Suicidal Tendencies qui me vient immédiatement à l’esprit. Ce titre-là résume tout. On le trouve sur l’album « Join The Army », paru en 1987. Sur la pochette de mon LP que je garde précieusement dans ma collection de disques il y a encore l’autocollant promo « includes FREE Suicidal Poster ». Ouais, et ce poster, d’une laideur affligeante, je peux te jurer qu’il a longtemps trôné sur le mur de ma chambre. Il éloignait la présence fantomatique des filles pas encore toutes débarrassées de leur appareil dentaire, des profs cruels et autres mauvais esprits. C’était mieux d’imaginer qu’on sautait sur sa planche pour aller au concert sous le soleil couchant. Je me vois encore, sous la couette, avant l’extinction des feux, matant une dernière fois dans un fanzine la trame grossière d’une photo de Mike Muir en train de fixer des trucks sur une planche dans un shop de Venice, CA.
Ecouter des heures de thrash et de skate punk n’a pas fait de moi un pro de la planche, pas plus que jouer des heures à Donjons&Dragons ne m’a rendu habile au maniement de l’épée. Mais il y avait une énergie positive là-dedans, ça a participé d’une excitation nécessaire, et en tout cas ça s’est présenté comme une bonne alternative au suicide.
Et pour incarner mes rêves, je me souviens avoir voulu ardemment un T-shirt de thrash. Mais le mieux que j’ai fini par acheter (ou me faire offrir, là aussi, impossible de zoomer nettement sur les photos souvenirs), c’était un sweat-shirt Motörhead. Motif Orgasmatron, sérigraphie dégueulasse. Mais ça faisait sens, Orgasmatron. Non pas que j’eusse été expert en orgasme (cette spécialité sera étudiée bien après), mais c’était tout simplement le premier album de Motörhead que je m’étais personnellement et totalement accaparé. Et quand je dis accaparé, ce n’est pas un effet d’emphase : j’avais braqué la cassette dans un magasin en Angleterre. Et dans ma quête du thrash, je me souviens avoir dealé avec un gars dans la cour de récréation et échangé ce sweat-là contre un modèle similaire au niveau textile, mais graphiquement plus extrême à mes yeux, car reprenant le visuel de la pochette du Live Undead de Slayer. Pour parfaire le glorieux souvenir des années 80, je me souviens aussi comment j’ai perdu, peu après, ce sweat-shirt Slayer qui me donnait l’air d’un vrai dur : en état d’ivresse juvénile, en train de slammer entre les fauteuils, à la Fête du Cinéma, pendant la projection du film Police Academy 4. Fraîchement acquis, prestement disparu. Pas facile, cette quête des oripeaux thrash. Je ne suis pas certain que ce fût au cours du même séjour en Angleterre qui m’avait conduit à braquer la cassette de Motörhead (double larcin, car dans le butin il y avait également le 45 tours de Criminally Insane de Slayer, avec Aggressive Perfector en face B, bonne pioche !) mais j’avais dépensé quelques précieuses livres sterling dans une boutique de jeux de rôles, comics, figurines et autres produits de la sous-culture nerd. Dans un souci d’imitation des obsessions du groupe Anthrax, j’avais jeté mon dévolu sur un T-shirt de Judge Dredd. Pas un T-shirt d’Anthrax, d’accord, juste un T-shirt blanc avec ce bon vieux Judge Dredd prononçant un «You’re next, punk» sans appel. Tu saisis la mise en abyme, thrasher ? Si j’étais menteur et crâneur, je prétendrais que mon premier T-shirt musical, après un premier et vague épisode autour d’un bob noir et rouge, eh bien c’était un T-shirt faisant référence à tout le mouvement thrash crossover alors en pleine expansion – mais par le biais de choix artistiques codés.
Quand on était un thrasher , il était très important de savoir jouer avec ces codes. Pas grand monde alentour ne pouvait piger, mais il était fondamental de ne pas être confondu avec un vulgaire hardos, n’est-ce pas. Et c’est là qu’un T-shirt Judge Dredd avait toute son importance (ou un patch Public Enemy, par exemple).
Mais alors que cette plongée dans le passé adolescent, exercice auquel je ne suis guère rompu, fait remonter à la surface des enchaînements de faits désorganisés et flous, la terrible réalité semble sortir du placard de l’oubli, tel un squelette grimaçant derrière son masque de poussière. Je vous dois un aveu. Le premier T-shirt, je l’avais acheté au stand du groupe. Déjà. Le premier d’une longue série. Dire que j’avais occulté cela. En revanche, oh merde, c’était un débardeur du groupe ADX. Juste le logo du groupe, et, ah oui, une guillotine, ce qui avait l’heur de déplaire à des parents de gauche encore tout fiers de l’abolition de la peine de mort dans le pays. Mouais voilà : ADX et la guillotine de Robespierre. « Ce fut l’époque de la terreur » chantait ADX. Je ne sais pas si les gens qui suivent des psychothérapies parlent de ce genre de choses.
Guillaume Gwardeath
BONUS :
2 – Le co-éditeur Kicking en possède encore quelques rares exemplaires en stock. « À saisir avant que la cote ne monte en flèche ! » nous disent ces véritables amazones du commerce punk en ligne. Lien direct ici : http://kickingrecords.bigcartel.com/product/explosions-textiles-mon-premier-t-shirt-de-groupe
PS : Vous aimez avoir un bon look pour aller à la plage, mettant en avant votre amour du riff sans négliger l’aspect pratique d’une bonne protection solaire ? Vous trouverez encore plus de news en suivant mes réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram et Pinterest !