« Ce qui faisait le charme de Bayonne dans les années 80 : une manifestation nationaliste et des gardes mobiles qui chargent »
Le Tampographe Sardon
J’avais reçu un coup de fil l’année dernière pour rencontrer le réalisateur Jean-Pierre Vedel, en repérage pour un projet documentaire consacré au rock basque.
On avait eu une bonne conversation dans une brasserie, avec ce réalisateur mandaté par France Télévision, et un autre ancien du lycée Cassin de Bayonne.
Jean-Pierre Vedel était très curieux de savoir comment l’information circulait à l’époque : le rôle des fanzines, des tables d’info, etc.
Je faisais un fanzine, et cet autre ancien du lycée aussi. Il était déjà en terminale quand je suis rentré en seconde, il a contribué à mon éducation musicale, de façon déterminante : il m’avait prêté le double 33 tours It’s Alive des Ramones le temps d’un week-end, et c’est lui qui m’avait fait découvrir OTH. On était évidemment très connecté aux activistes basques du lycée – même si on n’était pas des fans ultimes de Kortatu, c’était quand même les seuls avec qui on pouvait échanger des copies cassette de Scum de Napalm Death.
Je suis né à Bayonne mais je ne suis pas basque, et aujourd’hui comme il y a trente ans, je considère l’histoire du « rock radical basque » avant tout en qualité de spectateur intéressé. J’ai toujours préféré voir Bayonne comme un « hub »de communication ouverte entre le Pays basque intérieur et le reste du monde – à commencer par le mien.
Illustration : Vue de Bayonne dans les années 80 par Le Tampographe Sardon (qui lui aussi faisait partie de cette petite bande alternative au lycée à Bayonne – on a d’ailleurs collaboré à un fanzine ensemble). Il vous faut absolument lire les explications sur cette vue de la Kale Borroka bayonnaise ici. Ce coffret a l’air hélas épuisé mais démerdez-vous et achetez aujourd’hui un tampon, quelqu’il soit, au Tampographe. Faites-le ici.
Ce n’était pas toujours évident d’être raccord politiquement avec les autres ados basques qui pouvaient être à la fois très libertaires et très nationalistes. C’était il y a trente ans, tous les discours n’avaient pas autant de perspective comme ceux de Xan ou Jurgi de Willis Drumond aujourd’hui. Il faut dire que l’ambiance était tendue, avec des commandos paramilitaires pilotés par l’Etat central espagnol qui venaient arme au poing descendre des militants basques dans les bars du Petit Bayonne où on sortait boire des coups, des enlèvements, des violations des droits de l’homme (tout cela portait le doux nom de « terrorisme gouvernemental »), et de la part de l’Etat français des perquisitions incessantes, des arrestations, des incarcérations ou des déportations de réfugiés basques. Les manifestations étaient très mouvementées. Mes parents – carrément dans la ligne Amnesty International – nous emmenaient le samedi aux manifs avec mon frère.
Le rock radical basque était pour cette jeunesse voisine la bande originale musicale d’une révolution politique et culturelle en train de se jouer.
Les groupes d’Irun ou de Bilbao me donnaient l’impression de jouer avec la même intensité que leurs frères working class de Liverpool ou de Manchester.
J’ai regardé le documentaire à la télévision chez ma mère. Le film, supposé s’intituler « Génération Rock Basque » a été rebaptisé « Rock et révolution basque ». Je l’ai trouvé bonnard. Avec des imperfections, sans doute, mais il faut tenir compte des contraintes de production et de budget alloué.
Txetx Etcheverry (cofondateur du festival EHZ) montrant une interview de Kortatu dans son fanzine.
J’ai été très ému de voir des archives VHS du Patxoki et d’autres lieux autour de la place Patxa au Petit Bayonne. C’était l’épicentre de nos soirées. Mon crew et moi n’étions pas focalisés sur les problèmes basco-basques , mais cette jeunesse alternative (et autonome) basque organisait des bons concerts (je pense que le premier groupe de hardore que j’ai vu, c’était les basques BAP!!) et avait déjà des positionnements forts, notamment pro-féministe et antipatriarcat. Anti-corrida. Anti-nucléaire . Pro-squat. Anti-héroïne, aussi – ça peut sembler bizarre, mais des jeunes, encore à l’âge ado, se mettaient à prendre de l’héroïne et tomber dedans – j’ai vu un de mes potes du collège dégringoler, comme ça. Je pensais que c’était une pratique bien plus urbaine, mais ça cartonnait pas mal sur les bords de l’Adour. Il est probable que l’activisme ait été une bonne façon de structurer pas mal de jeunes qui se seraient sinon échoués dans une marginalité plus ou moins sans retour.
Cet activisme festif et conscient était résumé par le slogan omniprésent : besta bai borroka ere bai – la fête oui, et la lutte aussi.
Cela permettait une certaine occupation de l’espace public dans un cadre beaucoup moins agressif que les bars ou bals de beaufs (avec leur lot de gestes et paroles sexistes ou homophobes, de bagarres pour un bai ou pour un ez, etc.) et ça changeait des soirées de rugbymen ou de surfers en tout cas.
Le premier concert qui m’ait impressionné, c’était les Bérurier Noir je pense, à Arcangues, à côté de Bayonne, en février 1987 (photos ci-dessus et ci-dessous).
Archive Alain Cazenave, photographe et ancien chanteur de Beyrouth-Ouest.
C’était juste avant l’énorme explosion de BxN : à Bourges le printemps suivant, puis place de la Bastille pour SOS Racisme. Il n’y avait que des gens à fond dans ce concert très politisé. Personne venu parce qu’il avait vu de la lumière. Même les RG savaient pourquoi ils étaient là. Je me souviens de la furie du pit pendant Salut A Toi. C’était tellement serré devant que les punks ne pouvaient absolument pas pogoter. J’avais 15 ou 16 ans et je plongeais et remontais comme un bouchon dans les vagues un jour d’équinoxe.
Bien entendu besta bai borroka ere bai c’est toujours valable, sous une forme plus actuelle. Même si j’adore me shooter occasionnellement à la nostalgie, je ne vis absolument pas dans le passé. Je suis bien dans mon époque, d’ailleurs je prends le poste de télévision en photo avec mon téléphone. Qui, franchement, aurait prononcé une telle phrase en 1987 (hors hôpitaux psychiatriques) ?
Dans ma playlist rétro-basque : Kortatu et Negu Gorriak bien sûr, mais aussi Eskorbuto, Vomito et Hertzainak. Je n’étais pas grand grand fan de Barricada ou même de La Polla Records, mais tout le monde semblait les aimer. J’en resterais à BAP!! en numéro 1. J’avais rencontré DUT plus tard grâce à Belly Button mais c’est environ dix ans plus tard quand même.
Enfin, puisque vous avez lu cette note jusqu’à la fin, voici une petite récompense. Un lien pro pour visionner ce 52 minutes. En principe réservé aux professionnels, mais tant que France Télévisons ne coupe pas le lien, vous pouvez y aller. Merci le service public. Besta bai FranceTVpro era bai.
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