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La nuit était chez elle : remords à crédit

Une grosse année et demi après Correspondant Local, Laurent Queyssi nous propose la suite de ce qu’il conviendra dorénavant d’appeler « les enquêtes d’Alex Lolya ». Livre en main, je regrette spontanément une couverture moins travaillée graphiquement que dans le premier tome paru aux Editions Filature(s), illustrée d’une photographie de banque d’image sans guère de rapport avec l’histoire que nous allons lire : la découverte puis la disparition de possibles feuillets du manuscrit original de Mort à crédit de Céline, et, pour remettre la main dessus, une course poursuite où la mort se paie cash.

L’enquêteur n’est pas détective privé, il ne travaille pas pour les forces de gendarmerie ou pour la justice : il est toujours simple correspondant local pour la presse quotidienne du Lot-et-Garonne et gravite toujours autour de la commune fictive de Castelnau, « trou noir » à « l’attraction mortifère », rongée par la désertification de son centre mais dont le coeur bat toujours « au rythme des achats de tomates, de discussions animées, des cafés torréfiés sur place et des dégustations de fromage » – un prête-nom évident pour une évocation de la ville de Marmande dans laquelle l’auteur a grandi …

Le héros (ou plutôt, anti-héros) Alexandre Lolya se décrit dès les premières pages comme désireux d’éviter l’aventure autant que possible, mais doit se résoudre au constat : « le problème, c’est qu’elle venait parfois jusqu’à moi. » Démonstration en est faite tout le long du polar, avec cambriolages et contre-cambriolages, bastons et représailles, accidents et coups durs portés aux êtres chers… Comme le résume son meilleur ami : « on dirait que t’as encore trouvé le moyen de te foutre dans la merde, Lolya. »

Son aisance à animer des personnages attachants et crédibles – moins « bigger than life » qu’à portée d’engueulade (ou d’apéro) – est un atout majeur de l’auteur, et, puisqu’il s’agit d’un thriller, au moment du dénouement, on voit bien le squelette de l’intrigue faire son malicieux strip-tease jusqu’aux os. Alexandre Lolya en personne a beau nous jurer qu’il ne croit plus « depuis longtemps aux hasards », on peut se dire que sans de sacrées coïncidences de scénario, sa vie serait sans doute bien plus routinière, et ses enquêtes probablement cantonnées à la rubrique « chiens écrasés ». Dans l’attente de jours meilleurs, le voilà en tout cas condamné à traverser, à la manière d’une nuit difficile, un difficile hiver en bord de Garonne.

La nuit était chez elle, de Laurent Queyssi
Alibi
236 pages, 20 €