Une vie de Philip K. Dick, et un bout de vie de Laurent Queyssi

 

J’ai connu Laurent Queyssi par l’intermédiaire de l’illustrateur Greg Vezon, qui eut signé les couvertures de certains de ses ouvrages, comme son anthologie de nouvelles Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps (parue chez ActuSF, et que j’avais tout simplement empruntée à la bibliothèque municipale à Bordeaux), ou son dernier roman en date Allison, paru aux Moutons Electriques il y a deux ans.

Ce vendredi 19 janvier paraît chez 21 g la bande dessinée biographique Phil, une vie de Philip K. Dick, que Laurent Queyssi a écrite, en collaboration avec le dessinateur italien Mauro Marchesi.

Samedi 20 janvier, Laurent Queyssi est à La Zone Du Dehors, à Bordeaux, pour faire « le libraire d’un soir », présenter sa dernière bande dessinée, et signer ses livres.
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Photo Laurent Queyssi par Ludovic Lamarque

Je publierai un plein portrait consacré à Laurent Queyssi dans le journal Junkpage de février 2018.

[Mise à jour : l’article est paru, en voici la version mise en ligne sur le Tumblr du journal]

En attendant, voici quelques extraits d’une conversation le temps d’un café filtre :

En choisissant d’écrire une story de Philip K. Dick, tu t’es attaqué à un monstre, à une figure tutélaire de la littérature de l’imaginaire…
Laurent Queyssi : 
Je suis intime avec son oeuvre depuis plus de 25 ans, de par mes études. J’ai fait ma maîtrise sur Philip K. Dick et mon DEA sur la littérature californienne. Pour ce nouveau livre, j’ai quand même passé deux ans à faire des recherches avant d’écrire une seule ligne.  Il a fallu que je lise ses lettres, les biographies déjà existantes, ses interviews, les fanzines… Le bouquin inclut d’ailleurs une longue bibliographie. J’ai posé des questions à des gens qui l’ont connu. Je suis allé en Californie. J’ai pris des photos d’endroits emblématiques de sa vie. C’est important d’aller humer l’ambiance des lieux. Tu as lu les descriptions de ces lieux mais ça sent quoi ? Comment y est la lumière ? Comment y est le vent ? J’ai tenu à cet aspect dans la BD : montrer, en images, comment était la Californie dans laquelle Dick avait vécu. L’image associée à Dick, c’est le cinéma hollywoodien : Blade Runner, etc. Mais le Los Angeles de Blade Runner, ce n’est pas le Los Angeles de Dick. Il baignait dans la contre-culture des années 70, dans la culture et l’atmosphère de l’université de Berkeley.

S’il fallait pitcher, quels sont les traits principaux qui définissent Philip K. Dick ?
« Génial », « instable », et, plus que visionnaire – c’est un mot que je n’aime pas – je dirais “novateur empathique”… Il lisait le monde tellement bien qu’il l’a lu quasiment jusqu’à maintenant. Il était doué d’une très forte empathie avec les gens. Presque comme un sixième sens. Tout en ayant des côtés moins reluisants…. Par exemple, il ne s’occupait pas de ses enfants, ce qui ne lui semblait pas poser de problème particulier. Il leur écrivait une lettre tous les trois mois et c’était réglé. Complexe. Voilà un mot clé à rajouter : « complexe ».

En tant qu’auteur, est-ce que tu ranges Dick au rang de tes influences assumées ?
Un de mes auteurs préférés, c’est sûr, mais une influence de mon boulot, j’aurais du mal à le dire. Je serais plus influencé par d’autres auteurs moins “impressionnants”, comme Harlan Ellison ou Paul Di Filippo.

PHIL

Comment vous êtes-vous rencontrés avec le dessinateur Mauro Marchesi  ? 
Eh bien… on ne s’est encore jamais vus ! J’ai découvert son travail il y a sept ou huit ans, par l’intermédiaire d’un agent italien, pour un projet de super héros pour la littérature jeunesse. Ce projet n’a pas trouvé d’éditeur, mais dès que j’ai voulu avancer sur cette vie de Dick, j’ai pensé à Mauro, persuadé que son style convient à la perfection. Toute notre collaboration s’est faite par internet. On va se rencontrer pour la première fois au mois de mars, sur un festival.

PHIL SIGNED

Ça c’est cybernétique ! Allez, on attaque ta bio à toi, ok ? Avant de venir faire tes études à Bordeaux, tu vivais dans la petite ville de Marmande. On peut le comprendre en décodant un peu ton roman Allison… Tu en fais d’ailleurs un portrait peu flatteur…
Mes potes et moi nous y faisions vraiment chier. On n’avait qu’une envie : nous barrer. L’offre culturelle était trop pauvre. Cela a eu une conséquence très formatrice : il a fallu apprendre à chercher. Dans le roman, je dis que dans tous les lycées il y avait un mec qui était habillé en Robert Smith. Il y en avait un dans mon lycée. Il avait deux ans de plus que nous et il nous refilait des compils. C’est lui qui a fait notre culture musicale. C’est d’ailleurs lui qui s’occupe maintenant du forum français de The Cure ! Bon, c’est sûr que quand tu aimais les cultures alternatives, tu étais vite coincé. Le mercredi ou le samedi, on faisait une heure de train pour venir à la Fnac de Bordeaux acheter des disques, quand elle était dans le sous-sol du centre commercial Saint-Christoly,  ou encore chez Golem rue Paul-Louis Lande ou à Black&Noir à côté du Palais des Sports. L’auteur de SF Francis Valéry tenait aussi une boutique de comics rue des Ayres – ça faisait un peu penser à The Android’s Dungeon dans les Simpsons.

Même destination pour vos premiers concerts, aussi, je suppose ?
On venait les voir à Bordeaux à Barbey ou au Jimmy puis on séchait les cours du lendemain. En plus, à l’époque, Bordeaux était une ville cold wave. Une ville anglaise sous le mauvais temps. Cette espèce de fierté hipster bordelaise actuelle n’existait pas du tout. Bordeaux c’était une ville déprimée et crasseuse avec des quais dégueulasses. C’était Gotham City. Je ne sais pas si c’était dû à cet esprit de la ville, mais il y avait plein de corbacks ! Même en pleine époque grunge, il y avait plus de corbeaux que de skaters.

Comment as-tu commencé à devenir un professionnel dans le milieu de la SF et de la BD ?
Après mon DEA, j’avais entamé mon doctorat, mais… disons que je me suis juste inscrit. J’ai commencé à bosser dans une asso de bande dessinée qui éditait L’Avis Des Bulles. C’était une revue de critiques à l’attention des bibliothèques. J’ai passé deux ans de ma vie à lire des BD. C’était super. Quand cette revue s’est cassée la gueule, je me suis lancé à faire des traductions.

Tu n’avais pas fait d’études de langue anglaise pourtant ?
J’ai appris l’anglais en lisant des comics et en écoutant de la musique. J’ai fait mon perfectionnement avec les films en V.O. sous titrée ! Quand j’ai bossé sur la littérature américaine à la fac, je lisais l’anglais couramment. Le boulot de traduction, qui est un boulot en tant que tel, je l’ai appris sur le tas, en commençant par des nouvelles, pour des revues.

Tu traduis quel genre de trucs en ce moment ?
Il s’agit de romans de SF, en général, et des BD, que je traduis de l’anglais au français. En ce moment, par exemple, je travaille pour Hugo&Cie qui lance une nouvelle collection de SF. Mon précédent, c’était pour J’ai Lu, et précédemment encore c’était Au Diable Vauvert et Bragelonne. Une fois une traduction lancée, je m’astreins chaque jour à traduire le quota de signes qui me convient : je sais qu’en-dessous je ne tiens pas mes délais mais qu’au-delà j’explose…

NORMAL

L’autre grand pan de ton travail, c’est donc ta double casquette de scénariste et auteur.
Oui, à part égale, car je crois que j’ai sorti autant de BD que de romans et nouvelles. J’ai un roman qui sort en avril, la fiction Moloch, dont les douze épisodes de la saison 1 étaient parus en ligne sur le site Carbone. J’ai écrit les douze suivants, et l’ensemble formera le roman.

Ce genre de travail, tu le proposes à l’éditeur ou bien c’est l’éditeur qui vient te chercher ?
En l’espèce, il s’agit d’une commande. On est venu me demander si ça m’intéressait d’écrire une série découpée en épisodes. L’éditeur avait lu une nouvelle que j’avais publiée dans une anthologie alors qu’il cherchait quelque chose un peu à la mode, à la Stranger Things. Or ma nouvelle c’était un peu du Stranger Things avant l’heure. J’aime bien répondre à des demandes. Enfin, tant que cela me correspond… Je serais incapable de faire n’importe quoi !

Je t’ai lu utiliser l’expression « bouteille à la mer » pour parler de ton roman Allison…
Ce genre de bouquin, déjà, en l’écrivant, tu ne sais même pas s’il sera publié ! Et une fois qu’il est publié, tu ne sais pas qui va le lire… Etrangement, c’est le bouquin sur lequel j’ai eu le plus de retours. Après sa sortie, j’ai reçu un mail par jour… Ça a duré trois mois.

 

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Quels sont les rendez-vous forts annuels pour un mec comme toi ?
Les Utopiales, à Nantes. C’est un peu le festival de Cannes de la SF. Tout est concentré dans un même lieu : cinéma, BD, littérature et une pléthore d’auteurs. Très agréable.

Le festival d’Angoulême ?
C’est devenu une usine hyper vaste, dispersée sur plein de lieux et il y fait toujours un temps de merde. Une galère.

Sur le web, avec le photographe Ludovic Lamarque, tu animes aussi le site bibliophile Fahrenheit ?
Ah, ça, c’est hyper agréable à faire, mais ça demande du temps et on n’est pas payé.
On est allé à Astaffort chez les Sadoul voir la bibliothèque mythique dans laquelle Jacques Sadoul avait passé sa retraite. On est allé chez l’universitaire bordelais Jean-Paul Gabilliet, chez André-François Ruaud, barrière de Bègles, qui est aussi un de mes éditeurs. A Paris on est allé chez Philippe Hupp, à qui on doit notamment l’unique venue en France de Philip K. Dick, en 1977… Tu sais, quand je vais chez les gens, le premier truc que je regarde, c’est les bouquins ! Ce que l’on recherche avant tout, ce sont des anecdotes liées aux livres. On aimerait bien faire Michel Suffran, qui est d’ici. Il paraît qu’il a une bibliothèque démente.

Tu avais fait des piges à la télévision aussi ? Je matais ça pendant les quelques années où j’ai eu le câble.
Oui, ça s’appelait + ou – geek. Ça avait commencé vers 2010 ou 2011. Je montais enregistrer, d’abord à Epinal, puis à Paris. On enregistrait cinq émissions en une seule journée, qui étaient ensuite diffusées au rythme d’une par semaine. La chaîne du câble s’appelait Planet No Limit. Puis ça avait poursuivi sous forme de chaîne YouTube. Mais c’est terminé depuis deux ans environ. Je n’étais pas toujours hyper à l’aise, mais ce qui était vraiment agréable, c’est que j’avais carte blanche. “ – Je peux parler de ce truc-là, obscur et pas traduit ? – Ouais ouais, vas-y !” …

« Nerd », ou « geek », ce sont justement des termes qui pourraient te décrire ?
Je ne me formalise pas si on me traite de l’un ou l’autre. Ceci dit, les termes nerd et geek sont devenus des étiquettes faciles. Ce n’est pas tant qu’ils soient dévalorisants, c’est qu’ils sont trop réducteurs. Ils ne sont pas trop adaptés : un “nerd”, aux Etats-Unis, c’est juste une grosse tête, et un “geek”, un fan d’informatique. En France, on se sert de l’étiquette “geek” pour qualifier un fan de manga… Ce qu’on a en quand même en commun, c’est d’être à fond. Mes passions, je suis à fond dedans – à la limite de l’obsession. Geek et nerd, ça nomme des passionnés. Et des passionnés, dans quelque domaine que ce soit, c’est des gens intéressants. Même un collectionneur de timbres, au moins, ne passe pas son temps comme une loque à gober devant sa télé.

Les jeux vidéos font aussi partie de ton univers ?
J’ai un peu lâché depuis quelques années. Quand tu es ado et ce que propose la télé est navrant, tu écoutes des disques, tu lis des BD et des bouquins, et tu joues aux jeux vidéos qui te parlent un peu plus. Ado, j’avais un Amstrad, et après je suis passé à la Playstation. J’ai zappé la période où il n’y avait que des Nintendo, dont l’univers des jeux n’était pas trop calibré pour des ados. L’arrivée d’internet a été une espèce de Graal. Je délirais sur ça depuis les années 80 : le cyberpunk, le réseau, Wargame.

En tout cas, ton emploi du temps type doit impliquer un nombre hallucinant d’heures à lire des bandes dessinées, des romans et à regarder des films et des séries – et jusqu’à peu, jouer aux jeux vidéos ?
Eh bien non, justement ! Depuis que c’est devenu mon boulot, je n’ai plus le temps. C’est affreux. Les jeux, on laisse tomber. Et j’en suis à essayer de dégager du temps pour lire, au milieu de tous mes boulots de trad et d’écriture. Je me rends compte que certains mecs lambda, comme le parent d’élève que je croise à l’école, peuvent mater plus de séries que moi par exemple. Ce sont eux qui me conseillent des trucs à présent ! C’est un peu le monde à l’envers…

Tu fais quand même partie de cette frange de la population active qui peut vivre de sa passion  ?
C’est vrai. La contrepartie, c’est le caractère instable de ce genre de job. Et, aux débuts, une certaine pression sociale – même si aujourd’hui je n’en ai plus rien à foutre.

Tu as cette problématique de comment et où travailler ? Tu publies toi-même sur ton blog sur ces enjeux de productivité…
Oui, d’autant plus que cela fait quinze ans que je bosse tout seul, chez moi. La charge de travail ne cesse d’augmenter. J’ai deux gosses. J’ai fini par me rendre compte que je n’arrivais plus à tout concilier. Il faut trouver des moyens de mieux se concentrer. J’ai donc entrepris de faire une sorte de bilan de compétences axé sur la gestion de mon propre emploi du temps. J’ai fini par mettre en place le système qui me convient. On en débat entre auteurs free lance, ne serait-ce que pour s’échanger des bonnes idées. Ça passe par nos blogs ou nos forums, parce que c’est la façon virtuelle de nous croiser “entre collègues” – entre pairs, disons. Les gens qui bossent dans un bureau n’ont pas besoin de ça pour voir comment bossent leurs collègues, ou pour voir que monsieur Machin, à 14 heures, il a tendance à un peu s’endormir.

Si une proposition tombait, avec une embauche dans un bureau, tu serais capable d’échanger plus de stabilité et de salaire contre plus de contraintes horaires et plus de hiérarchie ?
Non. Impossible.

Propos recueillis au Black List (Bordeaux) par Guillaume Gwardeath

Portrait photo : Ludovic Lamarque

Autres photos : réseaux sociaux de Laurent Queyssi et Guillaume Gwardeath

>> site officiel Laurent Queyssi

SHOWING PHIL

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